À 65 ans, la plupart des gens songent à la retraite. Le Dr Venkatraman Chandra-Mouli (souvent appelé « Chandra ») rédigeait alors sa thèse de doctorat . Alors que beaucoup de ses anciens camarades de médecine ralentissent le rythme, lui entamait ce qu’il décrit comme son “travail le plus important à ce jour”.
Après trois décennies à l’Organisation mondiale de la Santé, ce médecin indien discret est devenu l’une des voix les plus influentes au monde en matière de santé sexuelle et reproductive des jeunes. Son message est simple mais révolutionnaire : arrêtons ce qui ne fonctionne pas, et appliquons dès maintenant ce qui fonctionne.
Un problème que beaucoup ne veulent pas voir
Des progrès ont été réalisés dans les domaines de la santé sexuelle et reproductive des adolescents, grâce à des investissements conséquents et soutenus dans le temps. Par exemple, le taux de natalité chez les filles de 15 à 19 ans a été divisé par deux en trente ans, passant de 73 à 38 naissances pour 1 000 filles — mais on estime que 12 millions de filles de cet âge accoucheront cette année. Et bien que les naissances chez les filles de 10 à 14 ans aient encore chuté — passant de 4 à 1 — plus de 325 000 filles de cette tranche d’âge sont attendues donner naissance cette année.
La majorité de ces naissances concernent les familles et communautés les plus pauvres dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Beaucoup de ces jeunes filles ne souhaitent pas devenir mères si tôt. Nombre d’entre elles n’ont plus jamais l’occasion de retourner à l’école. Certaines en meurent de complications évitables.
Ces progrès — bien que lents et inégaux — concernant la fertilité adolescente, le mariage précoce ou les infections liées au VIH contrastent fortement avec l’absence quasi totale de progrès dans d’autres domaines au cours des trois dernières décennies. Par exemple, près d’une adolescente de 15 à 19 ans sur cinq a vécu des violences de la part d’un partenaire intime au cours de la dernière année. Dans les pays à revenu le plus faible, ce chiffre atteint une fille sur quatre.
Ces chiffres ne sont pas que des données pour le Dr Chandra-Mouli. Ils incarnent une crise souvent niée ou ignorée par les acteurs communautaires, les États et les institutions internationales. Sa frustration est palpable lorsqu’il parle des sommes énormes et des efforts gaspillés pour des programmes séduisants mais inefficaces : des centres pour jeunes désertés, des actions d’éducation par les pairs qui n’aboutissent à rien, et des réunions publiques ponctuelles sur le mariage d’enfants sans aucun impact concret.
Le révolutionnaire qui remet tout en question
Ce qui distingue le Dr Chandra-Mouli ne se limite pas à ses qualifications — bien que ses 27 années passées à travailler sur la santé des adolescents à l’OMS, dont 18 à diriger ce domaine, jouent un rôle. C’est sa capacité à dire ce que d’autres évitent : beaucoup de ce qu’on appelle « les meilleures pratiques » en santé des adolescents en sont en réalité très loin.
En 2015, il a co-rédigé un commentaire marquant dans Global Health: Science and Practice, devenu l’un des articles les plus téléchargés de la revue. L’article déconstructait systématiquement la réputation d’interventions populaires mais inefficaces:
Les interventions inefficaces doivent être abandonnées, alors que des stratégies éprouvées telles que l’éducation à la sexualité complète et des services adaptés aux jeunes doivent être mises en œuvre avec rigueur.
La réaction fut intense : les conférences se sont tues, les bailleurs ayant investi des millions dans les approches critiquées ont vivement réagi. Mais les preuves étaient accablantes, et le Dr Chandra-Mouli ne s’est pas dérobé.
Sortir de la tour d’ivoire
Ce médecin ne se contente pas de critiquer : il agit. Après sa retraite de l’OMS en 2023, il aurait pu se retirer dans une paisible vie académique. Au lieu de cela, il travaille plus que jamais, collaborant avec des organisations dans le monde entier pour mettre en œuvre des solutions réellement efficaces.
Il a ainsi participé à l’analyse approfondie d’un projet pluriannuel très financé dans plusieurs pays portant sur la santé sexuelle et reproductive des adolescents, répertoriant les erreurs identifiées par des évaluations indépendantes, puis en extrayant des « à faire » et « à ne pas faire » utiles à l’ensemble du secteur.
Il invite notamment tous les acteurs à
rééquilibrer leurs programmes et leurs investissements, pour non seulement rechercher de nouvelles solutions, mais aussi institutionnaliser celles développées au cours des 40 dernières années, en priorisant celles qui ont démontré leur efficacité (comme la prestation de services sanitaires adaptés aux adolescents) et celles prometteuses (comme le changement des normes sociales).
Son travail de doctorat a également porté sur l’éducation sexuelle à l’école : il y explique comment six pays à revenu faible ou intermédiaire, qualifiés de « déviants positifs », ont réussi à déployer à grande échelle des programmes complets, en surmontant les résistances grâce à une avancée déterminée au jour le jour:
Les pays qui ont réussi à développer, maintenir et renforcer leurs programmes d’éducation à la sexualité l’ont fait en planifiant soigneusement, en sécurisant les ressources et en surmontant continuellement la résistance.
Le personnel derrière le professionnel
La passion du Dr Chandra-Mouli pour cet engagement va au-delà de son devoir professionnel. Son histoire personnelle le montre : romance adolescente, veuvage précoce, remariage, et l’expérience de s’occuper d’un enfant en situation de handicap
Chaque jour est un cadeau que je saisis à deux mains.
Cette perspective insuffle à son travail une humanité rare. Lorsqu’il évoque la santé des adolescents, il ne parle pas de cadres politiques abstraits : il pense à de vrais adolescents confrontés à des choix impossibles, sans soutien adéquat.
Se battre pour l’avenir
Sa passion personnelle transparaît également dans son commentaire récent co-rédigé pour le Journal of Adolescent Health, intitulé « Shock Unleashed by Recent U.S. Administrative Actions Cannot Lead to Paralysis »:
Nous, qui sommes engagés dans la santé et le bien-être des adolescents, sommes choqués et attristés, mais nous ne pouvons pas nous permettre d’être paralysés. Il faut se relever, rebondir et avancer. Nous devons agir sur trois fronts : préserver et renforcer les acquis dans de nombreux pays à revenu faible et intermédiaire ; contrer de manière proactive et efficace les attaques contre la santé sexuelle et reproductive des adolescents et plus largement ; nous unir avec des collègues partageant les mêmes convictions, attachés à la justice sociale et à l’autonomie dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Fidèle à ses principes, il refuse de reculer. Il ne se contente pas de décrire la crise : il trace un chemin vers l’avant.
Un legs en mouvement
À un âge où de nombreux médecins se préparent à raccrocher, le Dr Chandra-Mouli construit son héritage le plus significatif. Il inspire et forme une nouvelle génération de défenseurs qui refusent de se contenter de solutions inefficaces. Il soutient des réseaux de praticiens résolus à suivre des approches fondées sur les preuves. Il crée une dynamique de changement qui pourrait toucher des millions de jeunes.
Et pour éviter tout conflit d’intérêts, il agit de manière totalement indépendante, sans aucune affiliation organisationnelle ni rémunération, en espèces ou en nature.
Ses trois distinctions récentes — notamment le Lifetime Achievement Award de la Society for Adolescent Medicine and Health (USA), le Rotary International Award pour le leadership, la recherche et le service exceptionnels en santé sexuelle et reproductive des adolescents, et la Médaille d’or de la World Association of Sexual Health pour l’ensemble de sa carrière en santé et droits sexuels — soulignent non seulement ses contributions passées mais aussi son impact continu.
Vous pouvez en savoir plus sur ses activités en 2024 ici.
Le combat continue
L’histoire du Dr Chandra-Mouli est loin d’être terminée. Il continue d’apprendre, de communiquer, d’enseigner, de conseiller et de soutenir les initiatives pour la santé des adolescents. Ses convictions fondamentales sont à la fois urgentes et importantes : nous savons ce qui fonctionne pour la santé des jeunes, mais nous ne faisons pas encore ce qu’il faut.
Dans un chapitre de livre publié l’an dernier dans Teenage Pregnancy and Young Parenthood: Effective Policy Practice, second edition, il y documente des initiatives gouvernementales nationales réussies de réduction de la grossesse chez les adolescentes en Afrique, Asie, Europe et Amérique latine. Il écrit.
« Les expériences de ces pays — dans des contextes sociaux, culturels et économiques différents — montrent ce qui peut être accompli lorsque la bonne science est combinée à un leadership audacieux et à une gestion solide. Elles nous défient et nous inspirent à faire ce qui est faisable et qui doit être fait de toute urgence. »
Le médecin qui ne renonce jamais continue de se battre pour une idée simple : chaque jeune mérite d’avoir accès à l’information et aux services dont il a besoin pour faire des choix sains concernant son corps et son avenir. Dans un monde qui échoue souvent à ses jeunes, c’est une révolution qui mérite d’être soutenue.